Après les événements révolutionnaires, le XIXe siècle voit se mettre en place une prise de conscience patrimoniale sans précédent et une attention nouvelle pour les édifices du Moyen Age. Pourtant, la cathédrale de Montpellier n’est pas jugée digne d’intérêt par les découvreurs du patrimoine français.

Dans ses Notes d’un voyage dans le Midi de la France, Prosper Mérimée (1803-1870) écrit en 1835 à son sujet : « [elle] ne mérite d’être citée que par la grandeur du vaisseau, et par le porche très extraordinaire qui cache sa façade plutôt qu’il ne la décore » et à propos du porche de conclure : « il est impossible de rien voir de plus lourd et de moins gracieux ».

Ce mépris entraîne des conséquences sur les choix envisagés pour sa restauration. Ignoré des institutions patrimoniales, le destin de la cathédrale est laissé tout entier aux mains de l’administration des Cultes. Bien plus qu’esthétiques ou historiques, les enjeux de sa restauration au XIXe siècle sont dès lors politiques et religieux
 

Les enjeux religieux 

La réorganisation des circonscriptions ecclésiastiques prévue par le Concordat de 1801 place Montpellier à la tête des anciens diocèses de Lodève, Béziers, Agde et Saint-Pons de Thomières. La cathédrale montpelliéraine occupe désormais une place de premier ordre. À ce titre son état pose problème : ses capacités d’accueil ne sont d’abord plus suffisantes. Avec son chœur de style classique élevé en 1775 et sa tour manquante depuis les guerres de Religion, l’édifice est vu comme une construction disparate et mutilée, loin d’être à la mesure du nouveau rôle joué par le diocèse de Montpellier. 

Censée manifester la ferveur de l’Eglise réhabilitée depuis peu, la restauration de la cathédrale est ainsi une entreprise symbolique au service d’un catholicisme militant. À Montpellier, elle est menée à bien grâce à la détermination de l’évêque Monseigneur Charles Thomas Thibault (1796-1861) et de l'architecte diocésain Henri Révoil (1822-1900).

Etat restitutif de la cathédrale à la fin du XIXe siècle suite aux interventions d'Henri Révoil.

© Dominique Larpin. Architecte en chef des monuments historiques

L'application d'une doctrine

Après s’être vu confier la direction des travaux de la cathédrale en 1852, Henri Révoil présente un long rapport sur l’état de la cathédrale et sur les interventions qu’il souhaite effectuer. Il critique le porche sud et le manque d’harmonie de la façade ainsi que le chevet du XVIIIe siècle dont « le mauvais goût et les formes bâtardes de son architecture jurent complètement avec l’effet grandiose d’un des plus beaux vaisseaux du XIVe siècle ». Il prévoit la restauration de la façade principale avec le rétablissement des étages de la tour Saint-Benoît ainsi que la reconstruction du chœur dans un style néo-gothique comprenant un transept et une abside à double déambulatoire flanqué de cinq chapelles rayonnantes.

L’architecte n’entend pas reconstruire le chœur d’origine du XIVe siècle, mais proposer une réinterprétation complète du chevet de l’édifice. Il déclare prendre pour modèle l’abbatiale Saint-Ouen de Rouen. Les formes architecturales de l’édifice rouennais du XIVe siècle sont cependant relativement étrangères à celles mises en œuvre dans les édifices méridionaux de la même époque. Par ce choix, Révoil affirme ainsi son adhésion aux théories développées par l’architecte restaurateur et théoricien de l’architecture Viollet-le-Duc (1814-1879). Ce dernier, qui incarne presque à lui seul la doctrine de la restauration monumentale au XIXe siècle, définit en effet le modèle architectural de la cathédrale idéale comme une synthèse des grands édifices gothiques du Nord de la France. Cette expression stylistique obtient la préférence du clergé.

Plan actuel de la cathédrale Saint-Pierre

© Dominique Larpin. Architecte en chef des monuments historiques

Le projet initial est modifié à la demande du Comité des inspecteurs généraux en 1854, organisation en charge du contrôle de la qualité des travaux. Les chapelles rayonnantes et le déambulatoire sont éliminés au profit d’un chœur désormais formé d’un vaisseau central terminé par une abside à sept pans et de deux bas-côtés clôturés chacun par une absidiole. La première pierre du chantier est posée en 1855

Le 17 janvier 1875, la cathédrale est inaugurée. Sa restauration s’est ainsi étendue sur vingt ans pour donner naissance à un nouvel édifice dont le style néo-gothique restitue à l’église sa dignité et célèbre la renaissance d’une grande architecture nationale.
 

Chevet de la cathédrale de Montpellier

1879

© Archives municipales de Montpellier