Ecartelée par les conflits religieux et politiques, endommagée, mutilée, ruinée, reconstruite, restaurée, la cathédrale de Montpellier est sans cesse réinventée, embellie au gré des modes et de la liturgie, revue et corrigée au fil des siècles, voire totalement récréée dans une escalade restauratrice au XIXe siècle.

Depuis le début du XXe siècle, la cathédrale est restaurée en continue par l’Etat qui en a la charge depuis la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905. Les cathédrales ne se sont jamais si bien portées et s’il fallait une justification à ces interventions, le prestige du monument seul suffirait. La cathédrale est devenue un puissant symbole, un monument mythique que les poètes ont contribué à créer, un monument historique. 

Vue de la cathédrale Saint-Pierre, Albert Robida

1893

Lithographie

© Médiathèque centrale d’Agglomération Emile Zola, Montpellier

L’idée de cathédrale 

C’est au XIXe siècle que l’imaginaire romantique fait de la cathédrale gothique le monument par excellence. Elle inspire les peintres et dessinateurs, mais aussi les écrivains qui la perçoivent comme un symbole de l’identité nationale. L’immense succès qui accueille en 1831 la parution du roman de Victor Hugo (1802-1885), Notre-Dame de Paris, contribue à assimiler le monument à l’essence même du romantisme.

En parallèle, un monumental travail d’inventaire patrimonial est lancé en France par la monarchie de Juillet. Tout juste nommé inspecteur général des Monuments historiques, l’écrivain Prosper Mérimée (1803-1870) quitte Paris pour une tournée dans le Midi de la France le 31 juillet 1834, première d’une longue série vouée à la découverte des monuments en péril. Comme il le raconte dans Notes d’un voyage dans le Midi de la France, il vient à Montpellier, pour un monument, la cathédrale, et une collection, « la belle galerie de tableaux donnée à la ville par M. le baron Fabre ».                            

Il était probablement accompagné de son ami le baron Isidore Taylor (1789-1879) qui considérait Montpellier « comme la plus délicieuse ville du Bas Languedoc ». En effet, celui-ci, par un dessin de 1834, immortalise les ruines du porche. Cette lithographie, qui illustre ses Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France offre une image spectaculaire du porche jugé « bizarre mais très pittoresque », témoignage précieux de l’état de la cathédrale.

Porche de la cathédrale Saint-Pierre, Isidore Taylor dans Voyage pittoresque et romantique dans l’ancienne France

1834

Lithographie

© Médiathèque centrale d’Agglomération Emile Zola, Montpellier

Sur la carte des cathédrales françaises, celle de Montpellier occupe une place modeste si on la compare à la hauteur démesurée des nefs gothiques du Nord de la France. Elle fut pourtant maintes fois dessinée par les artistes montpelliérains comme l’archéologue Jean-Joseph Bonaventure Laurens (1801-1890) ou Jean-Marie Amelin (1785-1858), qui participent ainsi au mouvement romantique contribuant à faire de la cathédrale un monument mythique, fondateur du tourisme dans les cathédrales.

Dessin des parties hautes de la cathédrale Saint-Pierre depuis le sud-ouest, Jean-Joseph Bonaventure Laurens

1846

© Bibliothèque Inguimbertine, Carpentras

Dans son ouvrage fondamental, Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, l’architecte Eugène Viollet-le-Duc (1814- 1879) exprime en quelques lignes l'idée de cathédrale au XIXe siècle, symbole de l'unité nationale et du « génie français » :

                         « À nos cathédrales, se rattache toute notre histoire intellectuelle ; elles ont abrité, sous leurs cloîtres, les plus célèbres écoles de l’Europe pendant les XIIe et XIIIe siècles ; elles ont fait l’éducation religieuse et littéraire du peuple; elles ont été l’occasion d’un développement dans les arts qui n’est égalé que par l’antiquité grecque. Si les derniers siècles ont laissé périr dans leurs mains ces grands témoins de l’effort le plus considérable qui ait été fait depuis le christianisme en faveur de l’unité, espérons que, plus juste et moins ingrat, le nôtre saura les conserver. »